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Harcèlement de rue, Lyon. - Témoignage

Cette semaine nous avons choisi d'occuper l'atrium de l'institut pour une campagne de sensibilisation au "harcèlement de rue". Pour conclure cette campagne, nous publions aujourd'hui le témoignage anonyme - un peu long mais extrêmement intéressant! - qu'une élève nous avait envoyé précédemment.


Parce que ça n'arrive pas qu'aux autres.

 

Pour beaucoup de choses, on pense souvent « Ça n’arrive qu’aux autres ». C’est ce que je pensais du harcèlement de rue. J’en étais presque à penser qu’il s’agissait d’une légende urbaine à Lyon quand j’entendais des amies me parler de leurs expériences malheureuses tant je trouvais cela bizarre de n’avoir jamais été victime comme elles. Il m’était bien arrivé une ou deux fois des situations « un peu chaudes » comme on dit, mais je ne les avais jamais considérées comme graves, mais plutôt comme un aléa de la vie, une situation incontournable quand on habite une grande ville, mais outre ces deux ou trois situations, il ne m’était encore jamais rien arrivé.

Pourtant, on ne peut pas dire que je sois un modèle en matière de prudence. J’habite dans un coin un peu isolé et peu desservi par les transports en commun, ça ne m’empêche pas de sortir souvent, le soir, la nuit, seule, à pied, et ne prenant pas de précautions particulières pour ce qui est de mes tenues. Lorsque je dois rentrer chez moi, avant la réouverture des lignes TCL, je ne prends ni taxi, ni uber ou autre, je rentre à pied, un bon gros tacos à la main (marcher ça donne faim), de la musique dans les oreilles, parce qu’il n’y a pas mieux, pour moi, que de marcher seule dans Lyon la nuit, j’ai toujours trouvé une ville bien plus belle la nuit de toute façon.

Je suis donc loin d’être un exemple de prudence, et pourtant, jusqu’à présent rien de ce que j’avais pu lire ou entendre relatif aux harcèlements et agressions ne m’était arrivé. Pourquoi ? Au début, j’ai pensé que j’étais finalement prudente, que mes itinéraires étaient sécures (au bout de deux ans dans une ville, on sait quand même les quartiers à éviter à certaines heures) ou que dans le fond, un peu naïvement, je devais surement impressionner les deux trois cons qui auraient pu songer à tenter un truc. Je sais maintenant que rien de tout cela n’est vrai, c’était seulement de la chance et du hasard.


On dit souvent que « ça n’arrive qu’aux autres » mais il suffit d’un seul événement pour basculer de l’autre côté du miroir. Mon miroir à moi, ce fut Perrache, un mercredi soir vers 23h30. J’attendais le métro pour aller à Hôtel de Ville, rejoindre des amis à une soirée.

Deux hommes se sont approchés de moi, l’un d’eux m’a abordé, poliment avec le sourire, me demandant mon prénom. Depuis toute petite, quand un inconnu me demande mon prénom, je dis m’appeler Laura. Et depuis que j’ai l’âge de me faire aborder dans la rue pour me faire draguer, je dis être en couple depuis plusieurs années. Généralement, cela suffit à couper court à toutes discussions. Cette fois-ci, ce fut le cas, les deux repartirent, bien moins souriants qu’au début. Il restait encore 4 minutes avant que le métro n’arrive quand j’ai remarqué que celui qui m’avait accosté semblait rôder autour de moi. Je fis attention, histoire de pas non plus sombrer dans la paranoïa, et effectivement, il ne faisait que me fixer, pas très content, et avait l’air de parler de moi avec son ami. Puis, lorsqu’il ne resta plus qu’une minute, il s’approcha de moi. Pas très rassurée mais montrant le contraire, je continuai à regarder droit devant, le visage fermé, faisant mine de me concentrer sur les voies du métro. Lorsque la rame s’ouvrit, le jeune qui ,5 minutes plus tôt, m’avait demandé mon numéro et mon prénom en ajoutant que j’étais « magnifique », me donna un coup de pied dans les mollets. Sans pression. A l’aise. Naturellement.


Je me retournai d’un coup, et lui dit assez violemment « Non mais c’est pas parce que je t’ai remballé que tu dois me mettre un coup de pied » Ce à quoi je reçu en simple réponse « Ferme ta gueule sale pute ». Toujours sans pression, toujours à l’aise, toujours avec un naturel déconcertant qui me sidérait. Je voyais bien que dans ses yeux sa réaction lui semblait parfaitement normale voire justifiée.


Je décidai donc de m’asseoir, j’augmentai le volume de mes écouteurs, et je bouillonnai dans ma tête, espérant que le métro allait bientôt partir pour vite en finir. Rapidement, voire instantanément, j’ai pu constater que le regard des gens autour de moi faisait des allers-retours entre lui et moi, c’est alors que j’ai pris conscience qu’il continuait à m’insulter. Coupant le son de mes écouteurs, j’ai voulu en avoir le cœur net. Et bien moi qui pensait en connaître beaucoup sur les insultes… j’ai reçu une belle leçon !


Je ne suis pas une fille qui a sa langue dans sa poche, j’ai même la langue bien pendue. Devais-je lui répondre ? Oui, mais pour dire quoi ? Que c’était un con ? Que non je n’étais pas une pute, que je n’étais pas obligée de lui donner mon numéro ? Évidemment, j’aurais du, j’aurais pu aussi l’insulter et ce n’était pas l’envie qui me manquait.

Ce qui me sidérait le plus ce n’était pas tant ses propos, quoique bien recherchés et assez inventifs, mais le fait que j’avais peur, que je n’osais pas répondre, que se passerait –il si je répondais ? Peut-être qu’il aurait essayé de m’en mettre une, puisqu’un simple refus de donner mon numéro, lui octroyait apparemment le droit de me mettre un coup de pied. J’avais honte, je gardais la face, je continuer à le fixer , lui offrant mon regard le plus méprisant et le plus hautain possible ,dernier rempart de ma dignité, mais intérieurement j’avais honte, honte de me laisser faire par un pauvre type qui n’avait rien de mieux à faire que de m’en mettre plein la gueule devant une dizaine de personne.


Justement, et ces dix personnes ? J’étais très étonnée que personne ne dise quoique ce soit. Heureusement, un seul, un seul sur 13 personnes, eu « le courage » de lui dire d’arrêter, que ce qu’il faisait n’était pas correct et que, je cite, « les femmes c’est des princesses ». Le pauvre courageux a rapidement arrêté quand le pote de mon remballé lui asséna que ce n’était pas ses histoires qu’il avait intérêt à ne pas s’en mêler... Ce a quoi l’insulteur professionnel ajouta « C’est pas une princesse elle, c’est qu’une petite beurette mytho ». Ah mince... parce que j’avais la peau matte, et les cheveux ondulés, j’étais devenue forcément une « beurette », et donc apparemment dans son monde, les « beurettes » ne sont ni des princesses, ni des femmes, mais des objets dont on peut disposer et qu’on peut insulter voire plus si elles ont l’insolence, que dis-je, LE CULOT, de décliner une avance. J’avais envie de me lever et de moi aussi, m’octroyer le droit de balancer une droite ou deux, mais outre le fait d’être quelqu’un de civilisé, le fait qu’ils soient deux mesurant plus d’1m80 calmait mes envies, la solution qui semblait être la plus prudente était donc d’attendre, entendre et encaisser. C’est ce que je fis.


Jamais un Perrache-Hôtel ne me parût aussi long, pourtant en soit, ça n’a surement duré que 5/6 minutes. Je suis partie, sans un seul regard, le visage fermé, en espérant juste que les deux n’aient pas la volonté de me suivre et de continuer mon calvaire. Heureusement, ce ne fut pas le cas.

Le plus ironique ou triste dans cette histoire, c’est que je suis rentrée à 4h du matin, seule, après cette soirée-là, et il ne m’est rien arrivée. Lyon est-elle plus dangereuse à 23h30 qu’a 4h ?


Si je n’ai pas eu le courage d’ouvrir ma grande bouche, j’ose à peine imaginer la peur que peuvent éprouver certaines filles à l’origine moins téméraires que moi. J’ai beau essayer d’imaginer ou de comprendre, je n’y arrive pas, je ne comprends pas comment on peut arriver à nier l’autre au point de lui donner un coup de pied et l’insulter, parce qu’il n’a pas répondu positivement à une avance. Sur le chemin du retour, j’ai pas mal réfléchi à la dernière phrase de mon malheureux défenseur « les femmes sont des princesses ». Je ne me suis jamais considérée ainsi, et je n’ai pas cette vision de la femme, avant d’être des princesses, les femmes sont des humains, comme les hommes, aussi surprenant que ça puisse être apparemment pour certains. Il serait temps d’en prendre conscience.


Suite à cette expérience peu agréable, j’aimerais dire à celles qui se trouveront dans ma situation d’essayer de protester le plus prudemment que la situation le permet parce qu’au final, si c’était à refaire, je pense que j’aurais tenté de répliquer, malheureusement avec des si, on referait le monde. Et surtout, de ne pas abdiquer, de continuer à sortir, de s’amuser, d’arpenter les belles rues de Lyon, de jour comme de nuit, car cette ville ne mérite pas que de gros cons la vide de ses filles, jamais leurs remarques ne doivent l’emporter, jamais.


Et à toi, toi grand brun qui m’a demandé mon numéro avant de me traiter de pute, toi qui m’a dit que si tu étais mon grand-frère, tu m’aurais violé sans hésitation, toi qui m’a dit que j’avais une tête à aimer les biffles, j’espère qu’un jour tu prendras conscience que nous ne sommes pas des bouts de viande à dire oui à tous tes envies/caprices mais que nous sommes, nous les filles, et en particulier les beurettes, ton égal. Une prise de conscience qui devrait te faire l’effet d’une biffle je suppose. Comme quoi… c’est parfois celui qui dit qui l’est ;) .


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